Interview exclusive de Denis Troch

Publié le : 05/06/2015 - 13:48

Ancien joueur (1978-1981) et entraîneur adjoint du PSG (1991-1994 et 1998-1999), Denis Troch est directeur de l'entreprise H-Cort Performance depuis maintenant 5 ans. Entretien avec ce spécialiste de l'entraînement, du management et de la préparation mentale. 

ParisTeam.fr : La saison du PSG vient de se terminer avec quatre trophées. L’avez-vous suivi assidûment ? 

Denis Troch : Non, pas spécialement. D’une part, parce que je n’ai guère eu le temps avec mes activités. D’autre part, parce que je suis « sorti » du foot il y a maintenant six ans. Certes, j’accompagne encore des entraîneurs, des staffs ou dirigeants, mais je ne suis plus du tout investi de la même manière. Je ne suis pas allé au Parc des Princes cette saison, mais j’ai quand même regardé les matches les plus importants à la télé. A l’époque où j’étais encore dans le foot, je visionnais une dizaine de rencontres par semaine. 

En tant que spécialiste de la préparation mentale, comment expliquez-vous que Zlatan Ibrahimovic ne réponde jamais présent dans les grands matches ?

Déjà, il n’y pas 50 grands matches dans une saison pour un club, mais 4 ou 5 au maximum. On ne se sublime pas comme ça. Je ne connais pas Zlatan et je n’ai pas fait vraiment attention aux moments où il n’était pas en forme. Mais il existe parfois des mécanismes mentaux qui empêchent certains sportifs de haut niveau de répondre présent le jour J. Certains s’interdisent même de gagner sans le savoir ! Si ça devient récurrent, ça signifie qu’il existe quelque chose à traiter. D’ailleurs, c’est sans doute pour cette raison que le Suédois n’a jamais fait partie des deux meilleurs footballeurs de la planète. S’il avait été exceptionnel dans les grands rendez-vous, sa carrière aurait encore eu une autre dimension. 

Quels sont selon vous les joueurs Parisiens les mieux armés mentalement ?

Le mental ne se travaille pas seul. Il est associé à des thématiques physiques et stratégiques et doit permettre de tirer la quintessence de son potentiel technique. Les Brésiliens du PSG ont traversé une période délicate après la Coupe du monde. Ils ont vraiment dû être atteints. Mais ils sont parvenus à « switcher », ce qui signifie qu’ils ont su faire preuve d’un gros mental. Justement, après le Mondial, je me posais la question de savoir s’ils allaient pouvoir rebondir. Et effectivement, David Luiz et Thiago Silva ont retrouvé le niveau qui était le leur avant la déroute auriverde. 

Même si les deux saisons d’Edinson Cavani à Paris sont loin d’être catastrophiques, elles n’ont pas forcément été à la hauteur des attentes placées en lui au moment de son recrutement. La maladresse récurrente de l’attaquant uruguayen face au but adverse est-elle psychologique avant tout ?

Si la personne était compétente avant de venir, si elle sent qu’elle a de l’importance… Il n’y a pas de raison que ça ne fonctionne pas. Surtout que Cavani est dans le don. Mais il a été obligé de composer avec Zlatan Ibrahimovic à ses côtés. Et le Suédois prend une place considérable ! N’a-t-il pas été étouffé ? Zlatan oblige indirectement le téléspectateur à le comparer à Cavani. Ce dernier ne réalise pas assez souvent de gestes exceptionnels et ne parvient pas à être performant de façon régulière. Forcément, il souffre de la comparaison…

Jean-Louis Gasset effectue un colossal travail dans l’ombre. Pourquoi le travail des entraîneurs adjoints n’est-il pas souvent mis en lumière ? 

Au PSG, Jean-Louis Gasset et le préparateur physique bossent « en direct » avec les joueurs. Quant à Laurent Blanc, c’est quelqu’un de beaucoup médiatisé, qui va « prendre des coups » et devoir protéger les joueurs. C’était déjà pareil à mon époque, lorsque j’étais l’adjoint d’Artur Jorge. Moi, je ne prenais pas de coups et je bénéficiais d’une totale confiance sur le terrain de sa part. Si l’adjoint se met en lumière, il interfère avec le coach principal. A Paris, Gasset n’a jamais interféré avec Blanc : tout le monde sait qui est le boss !

« Il y a une possibilité et il faut mettre toutes les chances de son côté. » Tels avaient été vos propos dans l'émission Rugby & Cie sur Sud Radio, quelques heures avant le match retour de Ligue des champions entre le Barça et le PSG. Avec une approche mentale différente, Paris aurait-il pu réaliser l’exploit de sortir le club espagnol ?

Non. L’impact du match aller était trop important. Des séquelles avaient subsisté avant que ne commence le retour. Il aurait par exemple fallu qu’il y ait un gros problème en interne au Barça pour que le PSG puisse inverser la tendance. Mais j’ai fait cette déclaration pour faire comprendre que nous n’avions pas le droit de ne pas y croire. Même s’il n’existait qu’une seule chance sur mille. Mais même en marquant deux buts en trois minutes, je ne pense pas que le PSG serait passé. Il n’aurait alors fait que mettre en colère une équipe saine. Et cette colère amplifie la possibilité de revenir au score, ce qu’aurait sans doute réussi le Barça si un tel scénario s’était produit.  

« J’ai fait le deuil de ma carrière d’entraîneur »

L’élimination de Chelsea en huitièmes de finale de la Ligue des champions est-il un exploit comparable à celui de la victoire (4-1) de 1993 face au Real Madrid, en C3 ?

Je ne pense pas. Eliminer Chelsea en huitièmes de finale de la Ligue des champions constitue un objectif naturel pour le PSG de 2015. Les joueurs parisiens s’étaient programmés pour franchir ce tour. Ensuite, ils sont entrés dans une phase de décompression. Sauf qu’à ce niveau, lorsqu’on décompresse avant un quart de finale de C1 face au Barça, c’est mort ! Pour ce PSG actuel, éliminer Chelsea ou le Barça ne doit pas être un objectif en soi. D’autres l’ont fait. Par le passé, Paris a déjà battu de telles cylindrées, comme le Bayern Munich ou le Real Madrid. Certes, cela reste un exploit, mais cela a déjà été fait. Maintenant, l’objectif est de remporter la Ligue des champions. Il ne faut pas se focaliser sur une projection intermédiaire. C’est comme un amateur qui veut juste devenir professionnel. Si c’est son objectif prioritaire, il va décompresser et ne réussira pas sa carrière. L’objectif du PSG de soulever la C1 doit être intégré par toutes les personnes qui ont un rapport au club, de près ou de loin : dirigeants, joueurs, supporters…

A l’époque où vous entraîniez le PSG, le vestiaire comprenait déjà des joueurs aux égos prononcés. Aviez-vous un rôle particulier pour essayer de les canaliser ?

Les entraîneurs de haut niveau ont quelque chose de particulier : ils peuvent être de bons stratèges ou de supers techniciens. Moi j’étais plutôt lié à une branche psychologique. Je travaillais sur les leviers psychologiques. Pour prendre une image, je me situais entre le marteau et l’enclume. Je négociais, animais et posais les règles. J’occupais un rôle de manager en toute quiétude sous la tutelle d’Artur Jorge. Deux jours avant le match retour  de 1993 face au Real Madrid, les joueurs étaient fatigués de la rencontre de championnat que nous venions de disputer. Des cars remplis de gamins les attendaient à l’extérieur du vestiaire, l’effervescence se faisait sentir. J’ai dis à Artur Jorge : « Il ne faut pas qu’on sorte à leur rencontre car les joueurs risquent de s’enflammer ». Michel Denisot m’a alors imposé de le faire. Ce que je pouvais comprendre, sachant que les enfants avaient peut-être fait plusieurs heures de route pour venir nous voir. Mais le fait que les joueurs demeurent concentrés était encore plus important. Voici ce que j’ai répondu au président : « Si tu m’assures qu’on gagne, je sors les voir ». C’était une réelle négociation. Si nous avions perdu ce match, ma place aurait été remise en question, je me serais pris un coup de fusil !

Raï a été élu joueur du PSG du XXe siècle par les supporters. Même s’il n’a probablement pas terminé son aventure parisienne, Zlatan Ibrahimovic est-il parvenu à marquer encore plus l’histoire du club que le Brésilien ?

Ce sont des hommes qui n’ont pas du tout les mêmes comportements, encore moins les mêmes agissements. Quand Zlatan est arrivé au PSG, il a dû essuyer des critiques liées à une forme de nonchalance. Certains observateurs lui reprochaient de marcher sur le terrain. Quant à Rai, lors de ses six premiers mois dans la capitale, tout était contre lui. Les deux ont laissé passer l’orage. L’un des deux raisonne en termes d’efficacité, l’autre est plus centré sur la relation. Raï avait besoin de relations avec le vestiaire pour imposer son jeu. Un peu comme Javier Pastore de nos jours si je devais comparer. 

Comment avez-vous appris le décès de Jean-Luc Sassus le 22 mai dernier ? 

C’est un journaliste qui m’en a informé. Ma première réaction a été de dire : « Oh merde ». Pourtant, je ne parle jamais comme ça. Mourir à 52 ans, c’est triste… Ça m’a rappelé plein de souvenirs. J’ai passé deux ans au PSG avec Jean-Luc. Nous avons vécu des moments exceptionnels ensemble. L’année dernière, je l’avais dans revu dans le Sud de la France, à Figeac, via l’association « 1 Maillot Pour la Vie ». Aujourd’hui (samedi dernier, Ndlr), on aurait même dû être ensemble pour ce même événement. J’ai préféré ne pas y aller…

Vous avez récemment dispensé une formation d’une semaine pour six entraîneurs de rugby sans club. Comment s’est passée votre entrée dans le monde de l’ovalie ?

J’ai commencé par accompagner l’équipe de Clermont il y a 9 mois. Cela n’a été révélé dans la presse que récemment. On m’a alors demandé d’épauler des entraîneurs en poste et des joueurs qui voulaient se reconvertir. 

Pourriez-vous revenir sur un banc de touche d’un club de football en cas de défi intéressant à relever ?

Absolument pas ! J’ai fait le deuil de ma carrière d’entraîneur, même si je suis toujours autant passionné par le football. Mais c’est justement parce que je suis détaché de ce milieu que je peux poursuivre efficacement mes activités actuelles, comme accompagner les coachs en formation qui passent le BEFP (brevet d'entraîneur professionnel de football).